Anitigone
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Antigone de Jean Anouilh
Fiche signalétique
d'Antigone :
Le texte de référence est celui publié par les
Editions de la Table Ronde, en 1999.
La pièce est composée sous sa forme
quasi-définitive en 1942, et reçoit à ce moment l'aval de la censure
hitlérienne. Elle n'est jouée la première fois que deux ans après, le 4 février
1944, au théâtre de l'Atelier à Paris, sans doute à cause de difficultés
financières. Après une interruption des représentations en août 1944, due aux
combats pour la libération de Paris, elles reprennent normalement.
Antigone sera ensuite à nouveau représenté à Paris en
1947, 1949 et 1950 mais aussi dès mai 1944 à Bruxelles, en 1945 à Rome, et en
1949 à Londres.
Le contexte
historique :
Antigone est une pièce des années noires, lorsque la
France connaît la défaite face aux armées nazies et elle tombe sous
l'Occupation. Nous étudierons d'une part l'Occupation : la situation générale
et ensuite la radicalisation du régime de Vichy et d'autre part les origines
historiques de la pièce.
En 1942, Jean Anouilh réside à Paris, qui est
occupée par les Allemands depuis la débâcle de 1940 et l'Armistice. La
République a été abolie et remplacée par l'Etat français, sous la direction du
maréchal Pétain. La France est alors découpée en plusieurs régions : une zone
libre au Sud, sous l'administration du régime de Vichy, une zone occupée au
Nord, sous la coupe des Allemands, une zone d'administration allemande directe
pour les départements du Nord et du Pas-de-Calais, rattachés à la Belgique, une
zone annexée au Reich : l'Alsace-Lorraine et enfin, une zone d'occupation
italienne dans le Sud-Est (Savoie).
Refusant l'Armistice et le gouvernement de
Vichy, le général Charles de Gaulle lance un appel aux Français le 18 juin 1940
depuis Londres et il regroupe ainsi autour de lui les Forces françaises libres
(F.F.L.). C'est le début de la Résistance. Le 23 septembre 1941, un
"Comité national français" a été constitué, c'est une première étape
vers un gouvernement en exil. En métropole, la Résistance s'organise, tout
d'abord de façon indépendante et sporadique (qui se produit occasionnellement),
puis en se rapprochant de de Gaulle sous la forme de réseaux, comme Combat.
En 1942, le mouvement a déjà pris une certaine ampleur qui se manifeste par des
actes de sabotage et des attentats contre des Allemands et des collaborateurs ;
l'armée d'occupation réplique par des représailles massives et sanglantes.
L'année 1942, marque un tournant décisif dans
cette période. Les rapports de force se sont modifiés, car les Etats-Unis
viennent de déclarer la guerre à l'Allemagne. En France, le 19 avril 1942,
Pierre Laval revient au pouvoir après une éclipse d'un an et demi et accentue
la collaboration avec Hitler. Dans un discours radiodiffusé le 22 juin 1942, il
déclare fermement : "Je souhaite la victoire de l'Allemagne" et il crée
le Service du travail obligatoire (S.T.O.) pour l'aider en envoyant des
ouvriers dans leurs usines de guerre. La rafle du Vél. d'Hiv. le 16 juillet
1942 envoie des milliers de juifs, via Drancy, dans les camps de
concentration de d'extermination.
Ce n'est qu'en 1944 que nazis et collaborateurs
subissent de véritables revers. Le Comité national de la Résistance (C.N.R.),
institué le 15 mai 1943, fédère les différentes branches de la lutte antinazie
et prépare l'après-guerre. Le 6 juin 1944, le débarquement des Alliés en
Normandie déclenche l'insurrection des maquis en France et organise la
reconquête du territoire français. Paris se soulève avant le moment prévu et se
libère seul fin août 1944.
Avant même que la guerre ne soit terminée,
l'épuration se met en place : de nombreux sympathisants du régime de Vichy sont
jetés en prison et condamnés, certains sont exécutés, parfois sans procès ; les
milieux culturels (journalistes, écrivains et acteurs) ne sont pas épargnés.
C'est dans ce climat troublé que de Gaulle regagne la France et en assure dans
un premier temps le gouvernement.
C'est à un acte de résistance qu'Anouilh doit l'idée de travailler sur le personnage d'Antigone. En août 1942, un jeune résistant, Paul Collette, tire sur un groupe de dirigeants collaborationnistes au cours d'un meeting de la Légion des volontaires français (L.V.F.) à Versailles, il blesse Pierre Laval et Marcel Déat. Le jeune homme n'appartient à aucun réseau de résistance, à aucun mouvement politique ; son geste est isolé, son efficacité douteuse. La gratuité de son action, son caractère à la fois héroïque et vain frappent Anouilh, pour qui un tel geste possède en lui l'essence même du tragique. Nourri de culture classique, il songe alors à une pièce de Sophocle, qui pour un esprit moderne évoque la résistance d'un individu face à l'Etat. Il la traduit, la retravaille et en donne une version toute personnelle.
La nouvelle Antigone est donc issue
d'une union anachronique, celle d'un texte vieux de 2400 ans et d'un événement
contemporain.
Présentation de la
pièce :
Il faut garder en mémoire que dans la pièce de
Sophocle le personnage tragique n'est pas Antigone, mais Créon. Comme Œdipe,
son neveu, dont il prend la suite, Créon s'est cru un roi heureux. En cela, il
fait preuve de "démesure" (ubris, en grec), pour cela il doit être
puni. Antigone est l'instrument des dieux, Hémon le moyen, Créon la victime.
Lui seul est puni en fin de compte. La mort d'Antigone n'est en rien une
punition, puisqu'elle n'a commis aucune faute, au regard de la loi divine - au
contraire. La tragédie est celle d'un homme qui avait cru à son bonheur et que
les dieux ramènent aux réalités terrestres.
Représentée dans un Paris encore occupé, Antigone
à sa création a suscité des réactions passionnées et contrastées. Le journal
collaborationniste Je suis partout porte la pièce aux nues : Créon est
le représentant d'une politique qui ne se soucie guère de morale, Antigone est
une anarchiste (une "terroriste", pour reprendre la terminologie de
l'époque) que ses valeurs erronées conduisent à un sacrifice inutile, semant le
désordre autour d'elle. Des tracts clandestins, issus des milieux résistants,
menacèrent l'auteur. Mais simultanément, on a entendu dans les différences
irréconciliables entre Antigone et Créon le dialogue impossible de la
Résistance et de la collaboration, celle-là parlant morale, et celui-ci
d'intérêts. L'obsession du sacrifice, l'exigence de pureté de l'héroïne
triomphèrent auprès du public le plus jeune, qui aima la pièce jusqu'à
l'enthousiasme. Les costumes qui donnaient aux gardes des imperméables de cuir
qui ressemblaient fort à ceux de la Gestapo aidèrent à la confusion. Pourtant,
même sur ces exécutants brutaux Anouilh ne porte pas de jugement : "Ce ne
sont pas de mauvais bougres, ils ont des femmes, des enfants, et des petits
ennuis comme tout le monde, mais ils vous empoigneront les accusés le plus
tranquillement du monde tout à l'heure. Ils sentent l'ail, le cuir et le vin
rouge et ils sont dépourvus de toute imagination. Ce sont les auxiliaires
toujours innocents et toujours satisfaits d'eux-mêmes de la justice.". Et
ne pas juger ces "auxiliaires de la justice", les excuser même, un an
après la rafle du Vel'd'Hiv peut paraître un manque complet de sensibilité - ou
la preuve d'une hauteur de vue qui en tout cas démarque la pièce de l'actualité
immédiate.
Même si les positions politiques ultérieures
d'Anouilh, et tout son théâtre, plein de personnages cyniques et désabusés, le
situent dans un conservatisme ironique, on peut postuler qu'Antigone est
en fait une réflexion sur les abominations nées de l'absence de concessions,
que ce soit au nom de la Loi (Créon) ou au nom du devoir intérieur (Antigone).
C'est le drame de l'impossible voie moyenne entre deux exigences aussi
défendables et aussi mortelles, dans leur obstination, l'une que l'autre.
Anouilh a repris le cadre général de la pièce
de Sophocle. Le rideau s'ouvre au petit matin sur la ville de Thèbes, juste
après la proclamation du décret de Créon, au sujet duquel Antigone s'oppose à
sa sœur Ismène. Créon apprend d'un garde que le corps de Polynice a reçu les
hommages funèbres, puis voit Antigone amenée devant lui et la condamne à mort.
Hémon vient supplier son père, sans succès et s'enfuit. Antigone fait une
dernière apparition, puis marche vers la mort. Un messager apporte sur scène la
nouvelle du suicide d'Hémon, puis de la reine. Le rideau tombe sur Créon, qui
reste seul sur une scène dévastée.
Le texte d'Anouilh se présente comme une suite
ininterrompue de répliques, sans aucune des divisions formelles qui font la
tradition du théâtre français. Sans acte, sans scène, Antigone se veut dans sa
présentation le récit continu d'une journée où se joue le destin de l'héroïne.
Anouilh ne se propose toutefois pas de
révolutionner l'écriture théâtrale, et l'absence de divisions n'est qu'affaire
de forme. La pièce se déroule de façon classique, rhytmée par les entrées et
les sorties des personnages, qui permettent de restituer l'architecture
traditionnelle des scènes et de proposer la numérotation suivante :
Pages
|
Scène
|
Personnages
|
9-13
|
1
|
Le Prologue
|
13-20
|
2
|
Antigone, la Nourrice
|
21
|
3
|
Antigone, la Nourrice, Ismène
|
22-31
|
4
|
Antigone, Ismène
|
31-36
|
5
|
Antigone, la Nourrice
|
37-44
|
6
|
Antigone, Hémon
|
45-46
|
7
|
Antigone, Ismène
|
46-53
|
8
|
Créon, le Garde
|
53-55
|
9
|
Le Chœur
|
55-60
|
10
|
Antigone, le Garde, le Deuxième
Garde, le Troisième Garde
|
60-64
|
11
|
Antigone, les Gardes, Créon
|
64-97
|
12
|
Antigone, Créon
|
97-99
|
13
|
Antigone, Créon, Ismène
|
99-100
|
14
|
Créon, le Chœur
|
100-105
|
15
|
Créon, le Chœur, Hémon
|
105-106
|
16
|
Créon, le Chœur
|
106
|
17
|
Créon, le Chœur, Antigone, les
Gardes
|
106-117
|
18
|
Antigone, le Garde
|
117-119
|
19
|
Le Chœur, le Messager
|
119-122
|
20
|
Le Chœur, Créon, le Page
|
122-123
|
21
|
Le Chœur, les Gardes
|
Les personnages de
la pièce
Les relations entre personnages sont en partie
imposées par le modèle de Sophocle et la mythologie. Les liens de parenté ne
sont aucunement modifiés, et l'on retrouve le traditionnel tableau de famille
des Labdacides.
Antigone :
Personnage central de la pièce dont elle porte
le nom, Antigone est opposée dès les premières minutes à sa sœur Ismène, dont
elle représente le négatif. "la petite maigre", "la maigre jeune
fille moiraude et renfermée" (p. 9), elle est l'antithèse de la jeune
héroïne, l'ingénue, dont "la blonde, la belle, l'heureuse Ismène" est
au contraire l'archétype.
Comme Eurydice, comme Jeanne d'Arc dans L'Alouette,
elle a un physique garçonnier, sans apprêts : elle aime le gris : "C'était
beau. Tout était gris", "monde sans couleurs", "La Nourrice
(...) Combien de fois je me suis dit : "Mon Dieu, cette petite, elle n'est
pas assez coquette ! Toujours avec la même robe et mal peignée", Antigone
le dit elle même : "je suis noire et maigre".
Opiniâtre, secrète, elle n'a aucun des charmes
dont sa sœur dispose à foison : elle est "hypocrite", a un "sale
caractère", c'est "la sale bête, l'entêtée, la mauvaise". Malgré
cela, c'est elle qui séduit Hémon : elle n'est pas dénuée de sensualité, comme
le prouve sa scène face à son fiancé, ni de sensibilité, dont elle fait preuve
dans son dialogue avec la Nourrice.
Face à Ismène, Antigone se distingue au
physique comme au moral, et peut exercer une véritable fascination : Ismène lui
dit : "Pas belle comme nous, mais autrement. Tu sais bien que c'est sur
toi que se retournent les petits voyous dans la rue ; que c'est toi que les
petites filles regardent passer, soudain muettes sans pouvoir te quitter des yeux
jusqu'à ce que tu aies tourné le coin." (pages 29-30)
Comme le basilic des légendes, dont le regard
est mortel, Antigone pétrifie et stupéfait, car elle est autre. Son caractère
reçoit cette même marque d'étrangeté qui a séduit Hémon et qui manque à Ismène,
ce que Créon appelle son orgueil. Quelque chose en elle la pousse à aller
toujours plus loin que les autres, à ne pas se contenter de ce qu'elle a sous
la main : "Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre
politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux encore dire
"non" encore à tout ce que je n'aime pas et je suis seule juge."
(p. 78)
Cette volonté farouche n'est pas tout à fait du
courage, comme le dit Antigone elle-même (p. 28) ; elle est une force d'un
autre ordre qui échappe à la compréhension des autres.
Ismène :
Elle "bavarde et rit", "la
blonde, la belle" Ismène, elle possède le "goût de la danse et des
jeux [...] du bonheur et de la réussite, sa sensualité aussi", elle est
"bien plus belle qu'Antigone", est "éblouissante", avec
"ses bouclettes et ses rubans", "Ismène est rose et dorée comme
un fruit".
"sa sœur" possède une qualité
indomptable qui lui manque : elle n'a pas cette force surhumaine. Même son
pathétique sursaut à la fin de la pièce n'est pas à la hauteur de la tension
qu'exerce Antigone sur elle-même : "Antigone, pardon ! Antigone, tu vois,
je viens, j'ai du courage. J'irai maintenant avec toi. [...] Si vous la faites
mourir, il faudra me faire mourir avec elle ! [...] Je ne peux pas vivre si tu
meurs, je ne veux pas rester sans toi !" (pages 97-98).
C'est sa faiblesse même, et non sa volonté, qui
la pousse à s'offrir à la mort. Antigone le voit bien, et la rudoie avec mépris
: "Ah ! non. Pas maintenant. Pas toi ! C'est moi, c'est moi seule. Tu ne
te figures pas que tu vas venir mourir avec moi maintenant. Ce serait trop
facile ! [...] Tu as choisi la vie et moi la mort. Laisse-moi maintenant avec
tes jérémiades." (page 98)
Les deux rôles féminins de la pièce sont
diamétralement opposés. Ismène est une jolie poupée que les événements
dépassent. Antigone au contraire est caractéristique des premières héroïnes
d'Anouilh : elle est une garçonne qui dirige, mène et vit son rôle jusqu'au
bout.
Créon :
"son oncle, qui est le roi", "il
a des rides, il est fatigué", "Avant, du temps d'Œdipe, quand il
n'était que le premier personnage de la cour, il aimait la musique, les belles
reliures, les longues flâneries chez les petits antiquaires de Thèbes".
C'est un souverain de raccroc, tout le
contraire d'un ambitieux. Besogneux et consciencieux, il se soumet à sa tâche
comme à un travail journalier, et n'est pas si différent des gardes qu'il
commande. "Thèbes a droit maintenant à un prince sans histoire. Moi, je
m'appelle seulement Créon, Dieu merci. J'ai mes deux pieds sur terre, mes deux
mains enfoncées dans mes poches, et, puisque je suis roi, j'ai résolu, avec
moins d'ambition que ton père, de m'employer tout simplement à rendre l'ordre
de ce monde un peu moins absurde, si c'est possible." (pages 68 et 69)
Au nom du bon sens et de la simplicité, Créon
se voit comme un tâcheron, un "ouvrier" du pouvoir (page 11). Il
revendique le manque d'originalité et d'audace de sa vision, et plaide avec
confiance pour la régularité et la banalité de l'existence. Sa tâche n'est pas facile,
mais il en porte le fardeau avec résignation.
Personnage vieilli, usé, il se distingue par sa
volonté d'accommodement ; mais il avoue aussi avoir entretenu d'autres idéaux :
"J'écoutais du fond du temps un petit Créon maigre et pâle comme toi et qui
ne pensait qu'à tout donner lui aussi..." (page 91). Créon se considère
lui-même comme une Antigone qui n'aurait pas rencontré son destin, une Antigone
qui aurait survécu.
Les gardes :
Ce sont " trois hommes rougeauds qui
jouent aux cartes", "ce ne sont pas de mauvais bougres",
"ils sentent l'ail, le cuir et le vin rouge et ils sont dépourvus de toute
imagination". Ces gardes représentent une version brutale et vulgaire de
Créon. Leur langage sans raffinement, leur petitesse de vue en font des
personnages peu sympathiques, dont les rares bons mouvements ne suffisent pas à
cacher la peur de la hiérarchie ("Pas d'histoires !" revient souvent
dans leur bouche). Sans être totalement réduits à l'état de machines, ils sont
essentiellement un instrument du pouvoir de Créon, et rien de plus : "Le
Garde : S'il fallait écouter les gens, s'il fallait essayer de comprendre, on
serait propres." (p. 55)
Leur soumission à Créon n'est pas établie sur
la base d'une fidélité personnelle. Ils sont des auxiliaires de la justice,
respectueux du pouvoir en place, et ce quel que soit celui qui occupe le
pouvoir. Le Prologue indique bien que rien ne leur interdirait de se retourner
contre Créon, si celui-ci était déchu : "Pour le moment, jusqu'à ce qu'un
nouveau chef de Thèbes dûment mandaté leur ordonne de l'arrêter à son tour, ce
sont les auxiliaires de la justice de Créon." (p. 12)
Sans états d'âme, ils passent au travers de la
tragédie sans rien comprendre, et le rideau tombe sur eux, comme il tombe dans Médée
sur un garde et la Nourrice, après le suicide de Médée et le meurtre de ses
enfants :
"Le Garde
On a fauché la semaine dernière. On va rentrer demain ou après-demain si le temps se maintient.
On a fauché la semaine dernière. On va rentrer demain ou après-demain si le temps se maintient.
La Nourrice
La récolte sera bonne chez vous ?
La récolte sera bonne chez vous ?
Le Garde
Faut pas se plaindre. Il y aura encore du pain pour tout le monde cette année-ci.
Faut pas se plaindre. Il y aura encore du pain pour tout le monde cette année-ci.
Le rideau est tombé pendant qu'ils
parlaient."
C'est à travers eux que se manifeste le plus
clairement le pessimisme aristocratique d'Anouilh.
Le "jeune homme", "fiancé
d'Antigone", est le fils de Créon, c'est un personnage secondaire qui
n'apparaît qu'en deux occasions, soumis à Antigone et révolté contre Créon ;
ses propos sont courts et simples ("Oui, Antigone."), ou témoignent
d'une naïveté encore enfantine. La peur de grandir se résume chez lui à
l'angoisse de se retrouver seul, de regarder les choses en face : "Père,
ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas toi, ce n'est pas aujourd'hui ! Nous ne sommes
pas tous les deux au pied de ce mur où il faut seulement dire oui. Tu es encore
puissant, toi, comme lorsque j'étais petit. Ah ! Je t'en supplie, père, que je
t'admire, que je t'admire encore ! Je suis trop seul et le monde est trop nu si
je ne peux plus t'admirer." (p. 104)
Fiancé amoureux, enfant révolté, il est par son
caractère davantage proche d'Ismène, à qui le Prologue l'associe, que
d'Antigone.
Eurydice :
C'est "la vieille dame qui tricote",
la "femme de Créon", "elle est bonne, digne, aimante", mais
"Elle ne lui est d'aucun secours"
Le Page
Accompagnant Créon dans plusieurs scènes, il
représente l'innocence émouvante, l'enfant qui voit tout et ne comprend rien,
qui n'est pour l'instant d'aucune aide, mais qui, à son tout, un jour, pourrait
bien devenir Créon ou Antigone.
"Créon
Ce qu'il faudrait, c'est ne jamais savoir. Il te tarde d'être grand, toi ?
Ce qu'il faudrait, c'est ne jamais savoir. Il te tarde d'être grand, toi ?
Le Page
Oh oui, Monsieur !" (p.122)
Oh oui, Monsieur !" (p.122)
La Nourrice :
Personnage traditionnel du théâtre grec, mais
inexistant dans la pièce de Sophocle, elle a été créée par Anouilh pour donner
une assise familière à la pièce, et davantage montrer l'étrangeté du monde
tragique. Avec elle, ni drame ni tragédie, juste une scène de la vie courante,
où la vieille femme, affectueuse et grondante, est une "nounou"
rassurante, qui ne comprend rien à sa protégée : "Tu te moques de moi,
alors ? Tu vois, je suis trop vieille. Tu étais ma préférée, malgré ton sale
caractère." (p. 20). Elle "a élevé les deux petites".
Le Messager :
C'est un "garçon pâle [...]
solitaire". Autre personnage typique du théâtre grec, il apparaît dans la
pièce de Sophocle. Il se borne à être la voix du malheur, celui qui annonce
avec un luxe de détails la mort d'Hémon. Dans le récit du Prologue, il projette
une ombre menaçante : "C'est lui qui viendra annoncer la mort d'Hémon tout
à l'heure. C'est pour cela qu'il n'a pas envie de bavarder ni de se mêler aux
autres. Il sait déjà..." (p. 12)
Le Chœur
Ce personnage joue aussi le rôle de
messager de mort, mais son origine le rend plus complexe. Dans les tragédies
grecques, le chœur est un groupe de plus d'une dizaine de personnes, guidé par
le personnage du Coryphée. Il chante, danse peut-être, et se retrouve le plus
souvent en marge d'une action qu'il commente.
Dans Antigone, le Chœur est réduit à une
seule personne, mais a gardé de son origine une fonction collective,
représentant un groupe indéterminé, celui des habitants de Thèbes, ou celui des
spectateurs émus. Face à Créon, il fait des suggestions, qui toutes se révèlent
inutiles.
"Ne laisse pas mourir Antigone, Créon !
Nous allons tous porter cette plaie au côté, pendant des siècles. [...] C'est
une enfant Créon. [...] Est-ce qu'on ne peut pas imaginer quelque chose, dire
qu'elle est folle, l'enfermer ? [...] Est-ce qu'on ne peut pas gagner du temps,
la faire fuir demain ?" (pages 99 à 102)
Comme dans le théâtre antique, le chœur garde
également une fonction de commentateur. Isolé des autres personnages, il se
rapproche du Prologue : il scande l'action pratiquement dans les mêmes termes.
"Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n'a plus qu'à se dérouler
tout seul." (p. 53) "Et voilà. Sans la petite Antigone, c'est vrai,
ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c'est fini." (p.
122) Son "voilà" bat la mesure d'un mouvement que le
"Voilà" du Prologue avait mis en branle.
Autres personnages
:
- "les deux fils d'Œdipe, Etéocle et
Polynice" : "se sont battus et entre-tués sous les murs de la
ville" :
- "Etéocle l'aîné" : " le bon
frère", "le fils fidèle d'Œdipe", "le prince loyal",
il a eu d'imposantes funérailles
- "Polynice, le vaurien, le voyou", "mauvais frère", "il a toujours été un étranger" pour sa sœur Ismène, "un petit fêtard imbécile", "un petit carnassier dur et sans âme", "une petite brute tout juste bonne à aller plus vite que les autres avec ses voitures, à dépenser plus d'argent dans les bars.", il a été laissé à pourrir dehors.
- mais, en vérité, ce sont tous les deux des crapules : Etéocle "ne valait pas plus cher que Polynice", "deux larrons en foire", "deux petits voyous"
- "Polynice, le vaurien, le voyou", "mauvais frère", "il a toujours été un étranger" pour sa sœur Ismène, "un petit fêtard imbécile", "un petit carnassier dur et sans âme", "une petite brute tout juste bonne à aller plus vite que les autres avec ses voitures, à dépenser plus d'argent dans les bars.", il a été laissé à pourrir dehors.
- mais, en vérité, ce sont tous les deux des crapules : Etéocle "ne valait pas plus cher que Polynice", "deux larrons en foire", "deux petits voyous"
- "Madame Jocaste" maman d'Antigone
- Douce, sa chienne
- Douce, sa chienne
Jean Anouilh :

De 1915 à 1928 : son père était immobilisé pour
la Grande Guerre, il était seul avec sa mère, pianiste et violoniste, il
pouvait donc aller partout. C'est un enfant qui ne peut s'endormir sans le
retour de sa mère.
Son théâtre fait froncer le nez des
intellectuels.
Dans L'arrestation, il a dit (lors d'un entretien)que ça pue l'amour avec des casinos bien propres. C'est la pièce la plus complexe du théâtre français, Anouilh a réussi à faire dialoguer tous les personnages de son œuvre.
Dans Colombe, il exprime qu'"il n'y a d'amour qu'absolu" et que la famille c'est ignoble.
En 1932, dans l'Hermine, jouée entre autre par Pierre Fresnay, il exprime le "non" à la vie, que les choses laides, toutes les images sales, tout les tristes mots restent à jamais gravés dans nos mémoires, et qu'"on est jamais sincères". Lui même a subi la blessure inguérissable de la pauvreté et Louis Jouvet a approfondi sa blessure en l'appelant "le miteux". Anouilh dit qu'il a un œuil de faune. Anouilh est accueilli par Georges Pitoëff vers 1936-1937, Anouilh avait alors avec lui le Voyageur sans bagages. Ils ont passé deux heures extaordinaires ensemble, ils étaient aussi timides l'un que l'autre. Pitoëff est dans le Cartel, le plus grand découvreur qui existe. Les Pitoëff montent et jouent la Sauvage d'Anouilh (écrite en 1934).
Anouilh rencontre ensuite André Barsacq sur la scène de comédie des Champs-Elysées, le futur metteur en scène d'Antigone, c'est "le seul compagnon de ma jeunesse" écrit Anouilh. Ils avaient qu'un an de différence d'âge.
Ils connaissent un succès triomphal en 1938 avec Le Bal des voleurs que monte André Barsacq. Ils sont tous les deux myopes et ont donc des lunettes. Et Ils sont complémentaires si bien qu'ils sont appelés "les jumelles".
Barsacq était le disciple de Charles Dullin, un personnage exceptionnel. C'était alors la Belle Epoque, une époque de poètes.
Dans L'arrestation, il a dit (lors d'un entretien)que ça pue l'amour avec des casinos bien propres. C'est la pièce la plus complexe du théâtre français, Anouilh a réussi à faire dialoguer tous les personnages de son œuvre.
Dans Colombe, il exprime qu'"il n'y a d'amour qu'absolu" et que la famille c'est ignoble.
En 1932, dans l'Hermine, jouée entre autre par Pierre Fresnay, il exprime le "non" à la vie, que les choses laides, toutes les images sales, tout les tristes mots restent à jamais gravés dans nos mémoires, et qu'"on est jamais sincères". Lui même a subi la blessure inguérissable de la pauvreté et Louis Jouvet a approfondi sa blessure en l'appelant "le miteux". Anouilh dit qu'il a un œuil de faune. Anouilh est accueilli par Georges Pitoëff vers 1936-1937, Anouilh avait alors avec lui le Voyageur sans bagages. Ils ont passé deux heures extaordinaires ensemble, ils étaient aussi timides l'un que l'autre. Pitoëff est dans le Cartel, le plus grand découvreur qui existe. Les Pitoëff montent et jouent la Sauvage d'Anouilh (écrite en 1934).
Anouilh rencontre ensuite André Barsacq sur la scène de comédie des Champs-Elysées, le futur metteur en scène d'Antigone, c'est "le seul compagnon de ma jeunesse" écrit Anouilh. Ils avaient qu'un an de différence d'âge.
Ils connaissent un succès triomphal en 1938 avec Le Bal des voleurs que monte André Barsacq. Ils sont tous les deux myopes et ont donc des lunettes. Et Ils sont complémentaires si bien qu'ils sont appelés "les jumelles".
Barsacq était le disciple de Charles Dullin, un personnage exceptionnel. C'était alors la Belle Epoque, une époque de poètes.
Pour Anouilh, le théâtre était un lieu hanté,
palpable seulement par lui, le seul lieu où la vie humaine est stable. C'était
sa demeure principale, le lieu qui lui convenait par execellence, le lieu où il
réalisait ses fantasmes et où il a rencontré toutes les personnes qui ont été
importantes dans sa vie, des gens innatendus comme Jean Vilar, alors que leurs
chemins étaient opposés.
En 1944, Antigone fit un coup de
tonnerre, où Suzanne Flon a joué dans le rôle d'Ismène et où Barsacq a réalisé
la mise en scène. La pièce a été jouée à la lumière du jour, par un froid de
canard, elle était éclairée grâce à un système de miroirs et lors de la fin de
la pièce, le soleil se couchait et la nuit tombait. C'était un courage inouï de
jouer une pièce sur la révolte alors que la France était occupée. Antigone
a été un évènement sublime alors que personne ne croyait à la pièce, pas même
Anouilh et Barsacq, et personne n'avait applaudi lors de la première
représentation à la fin de la pièce. Anouilh lui même regrettait d'avoir écrit Antigone
et il disait que c'était catastrophique pour lui. Un soir, Anouilh et Barsacq
ont distribués des tracts de Résistance, ce qui a étonné les spectateurs, mais
la presse clandestine accuse Anouilh de collaboration. Le public était partagé,
la pièce avait une résonnance étrange. Anouilh se défend d'avoir sympathiser
avec les pro-nazis, mais il affiche une certaine compassion pour les vaincus et
dénonce les excès de l'épuration. Il organise d'ailleurs, une campagne de signatures
pour sauver l'écrivain collaborationniste Robert Brasillach qui a été condamné
à mort en février 1945, mais sa tentative a échouée et son exécution le marque
profondément. Sa vision devient extrêmement noire.
En 1956, il écrira une pièce sur Robespierre,
alors qu'il n'accrochait pas tellement et qu'il avait grommelé, qu'il a
intitulé Pauvre Bitos ou Le Dîner de têtes. Le personnage de Bitos était
une sorte d'insecte pour Anouilh et il devait parler d'une voix fausse. Il y
dénonce les procès politiques - y compris ceux de la Libération. C'est sans
doute pourquoi, la pièce a fait un scandale. Il y a même des gens qui tapaient
avec leurs cannes sur sa voiture. Gautier l'accuse de fascisme. Les spectateurs
sortent en colère mais ils en sont contents. Anouilh dit lui-même que
l'étiquette politique qu'il porte est absolument scandaleuse. Il va porter la
blessure de cette pièce pendant un cetain temps. Ensuite, il en riait avec son
"rire du sage", et il a choisi le comique avec Ardèle ou La
Marguerite.
L'époque de l'épuration lui a donné une image
noire des humains. Sa vision est devenue encore plus noire lorsqu'il a essayé
de trouver des signatures pour sauver Robert Brasillach, le rédacteur en chef
de Je suis partout pendant l'Occupation, et qu'il a échoué, la feuille
était presque vide de signatures. Brasillach fut fusillé pour faits de
collaboration.
Dans L'Hurluberlu ou Le Réactionnaire
amoureux, son rire est très célinien. Ce regard est servi en même temps par
Georges Feydeau. Il n'y a que lui qui a parlé de la condition humaine.
Anouilh avait une grande tendresse envers
Marcel Pérez : "Point de Pérez, point de salut" (J. Anouilh)
Il écrit ensuite Le Boulanger, La Boulangère
et le Petit Mitron. Anouilh aurait aimé être acteur, Périer écrit :
"Il était jaloux de ne pas pouvoir le faire". Il aurait adoré être
acteur et auteur mais il n'a peut-être pas osé à cause de sa timidité. On
remaque dans son théâtre que ses didascalies sont précises, c'est d'ailleurs le
lien rêvé entre le public et l'acteur, lien difficile, faire des pièces de
théâtre n'est pas comme être écrivain.
Lors des répétitions de L'Arrestation,
il insiste pour que le mystère soit là, pour ne pas qu'il y ait du policier.
Pour Anouilh, il n'y a rien de définitif au théâtre, il faut essayer. Quelqu'un
d'ailleurs lui a dit qu'"Il fallait faire des pièces comme on fait des
meubles." Lors des répétitions générales, il disparaissait discrètement
sans que les acteurs s'en rendent compte. Les acteurs et les décorateurs
forment une vraie famille avec Anouilh. Un d'entre eux a raconté qu'a partir de
la déformation de la caricature, il fait du vrai, qu'"Il a un muscle
fantastique", les acteurs sortent épuisés d'une pièce d'Anouilh. Pour lui,
la caricature est l'expression éclatée, exacerbée du personnage ; la réaction
c'est rigolo, ce n'est pas si grave ; et les personnages de théâtre forment un
monde d'insectes, représentatif d'une caricature de l'homme. Dans Le
Scénario, il a montré ce qui s'est passé dans sa tête à un moment précis.
C'est le premier auteur de vraie dérision. Il a d'ailleurs soutenu Ionesco, qui
était pour Jean-Jacques Gautier, "un plaisantin". Les Poissons
rouges est une pièce goguenarde.
Anouilh était narchiste (veut un pouvoir
autoritaire, opposé à anarchiste) et défendu par les gens de droite, les
conservateurs. Pour lui, les personnages sont des masques. Anouilh a une tête
de guignol, il fait un théâtre de singe, mais c'est beau.